Le père Picard
Récit de Paulette Delion
Notre résidente, Madame Delion, commence ainsi son récit : "Voilà bien longtemps que je voulais écrire des histoires du passé et même très anciennes de mon pays ; j’ai commencé il y a déjà un certain temps puis, arrivée à Jasmin, j’ai eu d’autres activités et peut-être aussi un peu de paresse…"
Je me rappelle du père Picard et de Marie, sa femme. J’étais toute petite, trois ou quatre ans, mais à sa mort en 1951, j’avais 15 ans et j’ai été affectée par les conditions de sa mort. Enfant,
je le croisais souvent, il allait dans les champs environnant notre hameau parfois seul, parfois avec Marie, cueillir de l’herbe pour les lapins. Ils étaient toujours accompagnés de Mimi, leur
chienne. Elle était bizarre, grise avec des tâches bleues, assez grande. Je pense qu’on n’a jamais pu déterminer sa race. Alphonse, que l’on appelait le père Picard ou Picard tout court, sauf mon
père qui l’appelait Alphonse, dans mon esprit avait toujours été vieux et il était très sale, je pense qu’il ne savait ni lire ni écrire et Marie peut-être non plus. Dans les années 1920, il n’y
avait alors ni radio, ni télévision et bien peu de distractions. Les jeunes s’amusaient en faisant des farces aux pauvres gens un peu simplets. Un jour, ils avaient bouché la cheminée de Picard,
bien sûr Marie et Alphonse ont été enfumés. Celui-ci, très en colère est parti avec ses sabots, il n’avait sûrement pas de chaussures, il fit sept kilomètres pour prévenir les gendarmes qui n’ont
rien fait bien entendu. Ils étaient habitués aux bêtises des jeunes. Une autre fois, ils avaient perché sa charrue au sommet d’un arbre à au moins deux kilomètres de chez lui, retour en sabots à
Souppes sur Loing ! Un autre jour, sa charrette était garée sous un petit hangar et évidemment sa petite propriété n’était pas close. Marie avait mis à sécher comme c’était l’habitude à l’époque,
ses haricots qui pendaient au-dessus de la charrette. Les jeunes ont eu l’idée absurde d’enlever les accessoires qui tenaient les roues de la charrette. Marie montant dans le véhicule pour
prendre une poignée de haricots, les roues se sont écartées, elle eut la peur de sa vie, et surtout manqua de se tuer. Nouveau retour en sabots à la gendarmerie… Le plus grave reste à venir,
durant l’hiver, il faisait froid et les jeunes sans travail étaient réunis chez le charron pour être au chaud. Ils ont eu l’idée idiote d’enfermer ce pauvre Alphonse dans le cercueil (que
faisait-il là?). Quand Valère, le charron fut revenu, les rires imbéciles résonnaient et il fallut vite sortir le pauvre Picard qui avait perdu connaissance.
Bien plus tard Marie décéda et son pauvre époux resta seul, son quotidien devint compliqué et mes parents ne voulaient plus que je passe du temps dans cette demeure sans ma bonne voisine. Un jour
Alphonse tomba malade, ses voisins proches allaient le voir. Il avait sur son lit un énorme édredon percé en plumes, il était tellement crasseux que la garniture s’était collée sur lui, certains
disaient qu’il ressemblait à une autruche. Il fallu l’envoyer à l’hôpital, mais il ne voulait pas, il monta de force dans l’ambulance en jurant qu’il reviendrait de Nemours (12 km à pieds)! Il
confia Mimi à ses voisins. Ces affreux l’abattirent, ils savaient qu’Alphonse ne reviendrait pas, c’est ce qui arriva et heureusement, il ne l’apprit jamais. Les religieuses qui tenaient à cette
époque le centre, obligèrent le pauvre à se laver, non sans peine et ce terrible bain l’acheva. Cet homme au destin tragique, la risée de tous, était le genre d’homme que l’on pouvait rencontrer
couramment à la campagne. Picard était un homme honnête et il ne voulait rien accepter d’autrui, c’était un homme droit, il avait même refusé le colis de Noël de la commune expliquant qu’il
n’était pas de la mendicité, et pourtant!…
Malgré tout, pour moi, Picard reste une belle figure du temps passé que je n’ai jamais oubliée…
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